Créer librement : Pourquoi et comment retrouver son âme d’enfant

Créer librement : cette capacité nous échappe progressivement en grandissant.
Nous apprenons une technique artistique, perfectionnons notre geste, mais quelque chose d’essentiel se perd en chemin.
L’enfant, lui, ne connaît pas ces blocages. Il transforme tout en outil créatif, dessine partout, expérimente sans retenue.
Aucune voix intérieure ne lui dit « c’est raté » ou « recommence ».

Que perdons-nous exactement en devenant adulte ?
Pourquoi notre spontanéité créative s’évapore-t-elle ? Et surtout : peut-on la retrouver ?
Cette quête n’est pas nouvelle. Picasso disait: « J’ai mis toute ma vie à savoir dessiner comme un enfant ».
Je te propose quelques pistes concrètes inspirées des arts populaires japonais et d’autres artistes / mouvements artistiques.

Créer librement: dessin d'enfant
Extrait d’un pastel gras réalisé à mes 4 ans

I. Pourquoi retrouver son âme d’enfant pour créer librement

As-tu déjà regardé un enfant créer ? Cette spontanéité qui jaillit de ses mains ! Cette absence totale de peur du jugement ! Le geste de l’enfant porte une authenticité saisissante.
Il possède naturellement ce que de nombreux artistes cherchent à retrouver. Cette capacité à créer librement sans se censurer.
Recouvrer notre âme d’enfant constitue le terreau de toute création authentique :

  • L’enfant de 2-4 ans crée avec son corps entier.
    Physiologiquement, sa motricité fine n’est pas encore développée. Il compense en engageant tout son corps (bras, épaule, torse…) pour tracer. Cette limitation devient une force créative. Il détourne naturellement les outils : un pinceau devient tampon, ses doigts remplacent les crayons. Cette adaptabilité corporelle totale génère une expression spontanée que nous pouvons réapprendre.
  • Vers 3-5 ans, il ignore encore la voix critique.
    Les neurosciences montrent que les zones cérébrales du jugement critique ne maturent que vers 6-7 ans. Cette immaturité neurologique constitue un atout créatif ! L’enfant de cet âge explore, expérimente, ose sans retenue. Cette liberté cognitive ouvre toutes les possibilités d’expression.
  • Entre 4-6 ans, son geste reflète l’instant présent pur.
    L’enfant ne projette pas mentalement, ne calcule pas ses effets. Les recherches révèlent que sa mémoire de travail limitée l’empêche de planifier à long terme. Cette contrainte cognitive devient créative : il dessine ce qu’il ressent maintenant, directement. Cette authenticité temporelle touche notre sensibilité d’adulte.
  • Jusqu’à 7-8 ans, il accueille l’imprévu avec joie.
    Avant l’âge de raison, l’accident devient découverte naturellement. Le cortex pré-frontal immature ne catégorise pas encore « erreur/réussite ». Cette neutralité cognitive transforme chaque surprise en trouvaille. Cette ouverture nourrit une créativité authentique sans limites.

Ces qualités neurophysiologiques constituent les fondements d’une création vivante. Elles nous rappellent ce que signifie véritablement créer librement.

Créer librement avec Karel Appel

II. « Créer librement » : Du sentiment de liberté à l’expression libre

Créer librement ne se résume pas à se sentir autorisé à créer. Cette distinction fondamentale traverse l’histoire de l’art moderne et guide notre reconquête de l’âme d’enfant.

1.Se sentir libre de créer : l’autorisation psychologique

Cette première étape consiste à lever les interdits intérieurs.
On se donne permission d’explorer, d’expérimenter, de sortir des normes établies.
En 1948, le mouvement CoBrA a ouvert la voie à l’expression spontanée. Karel Appel, peintre néerlandais et cofondateur de ce mouvement, le résumait ainsi :
« Il faut tout apprendre, puis tout oublier et recommencer comme un enfant. C’est l’évolution intérieure. »
Mais cette permission reste consciente, intentionnelle : on mobilise encore de l’énergie mentale pour dépasser ses résistances.
On « décide » d’être libre, on s’autorise l’imperfection, on choisit de transgresser.

2.Créer librement : l’état de flow créatif

Cette seconde étape transcende l’autorisation. L’expression jaillit naturellement, sans effort conscient ni résistance intérieure.
On atteint cet état de flow où les inhibitions se désactivent spontanément.

Qu’est-ce que l’état de flow créatif ? C’est cette expérience où le temps semble suspendu. On ne lutte plus contre la matière, ne calcule plus ses effets.
Le geste émerge d’une intelligence corporelle qui dépasse la volonté consciente. Plus de séparation entre créateur et création.

Les arts primitifs révèlent cette même qualité : le geste traduit directement la relation au vivant, à l’essentiel.
Cette création libre échappe à la volonté consciente. Elle émane directement du corps, des sensations, de l’intelligence intuitive.

3.S’inspirer de l’enfant comme modèle de création libre

L’enfant de 2-8 ans incarne naturellement cette seconde étape. Il ne passe pas par la case « autorisation » car il n’a pas encore développé les inhibitions adultes.
Cette spontanéité a fasciné les avant-gardes artistiques.
Les expressionnistes abstraits comme Jackson Pollock ont recherché cette immédiateté gestuelle, poussant sa recherche vers l’engagement physique total. Ainsi, en laissant le corps entier participer à la création, il court-circuitait le mental critique.
Il l’exprime ainsi : « Quand je suis dans ma peinture, je ne suis pas conscient de ce que je fais. Ce n’est qu’après une sorte de période d’apprivoisement que je comprends ce que j’étais en train d’exprimer. »
Ce constat révèle les deux temps de la création libre : d’abord l’abandon total au geste créatif, puis la redécouverte de ce qui a émergé naturellement. L’artiste doit « faire connaissance » avec sa propre création pour comprendre ce qui l’habitait pendant l’état de flow.

4.Dépasser les obstacles à la création libre

Pourquoi perdons-nous cette capacité naturelle ? L’éducation artistique occidentale traditionnelle privilégie la maîtrise technique sur la spontanéité.
L’Académie, comme l’explique Ingres, revendiquait que « la tête commande à la main. »
Cette approche intellectualise la création, créant une rupture entre intention et geste. L’artiste apprend à contrôler, planifier, corriger plutôt qu’à laisser émerger.

Les enseignements orientaux proposent une voie radicalement différente.
La pratique du sumi-e ou de la calligraphie japonaise nous enseigne que c’est le cœur qui guide le pinceau.
Cette philosophie place les sensations et la respiration au centre de l’acte créatif.

Cette opposition révèle deux conceptions opposées de la création :

  • L’approche occidentale traditionnelle : la tête contrôle la main
  • L’approche orientale : le cœur guide le geste

Les mouvements de l’art moderne occidental (Expressionnisme abstrait, Art brut , CoBrA, etc.) ont progressivement redécouvert cette sagesse ancestrale.

Créer librement par Jackson Pollock

III. 4 axes pour créer librement

Ces fondements neurophysiologiques de l’enfance nous éclairent. Mais comment créer librement au quotidien ? Comment retrouver cette spontanéité créative qui nous habitait naturellement ?
Voici 4 axes pour reconnecter à cette créativité enfantine. Car oui, créer librement, c’est d’abord :

  • jouer avec les possibilités
  • s’amuser à transgresser les règles
  • jubiler devant l’inattendu qui émerge

1. Le corps

L’enfant crée avec son corps entier, sans retenue. Il danse sa création, s’étire, bouge.
Pour retrouver cette spontanéité, nous pouvons réengager notre corps.
Variations corporelles à explorer avec plaisir :

  • Position debout : libère l’énergie créative et modifie notre manière d’approcher l’oeuvre en devenir
  • Main non-dominante : cette gestuelle éveille souvent bien des surprises et aide àau lâcher-prise
  • Création simultanée à deux mains : il s’agit d’activer des zones du cerveau rarement exploitées, sauf si l’on pratique certains instruments de musique comme le piano
  • Autres parties du corps : cet exercice t’amène à explorer le corps sous de nouveaux aspects et savourer ces découvertes sensorielles
  • Création à l’aveugle : il s’agit ici de s’orienter grâce à d’autres sens que la vue et d’écouter la sensation pure.

2. Le support

L’enfant dessine partout, transforme tout en surface créative. Découvrir que le support « parfait » peut entraver la création vivante, voilà une révélation libératrice !
Variations du support à expérimenter avec audace :

  • Froisser, percer, déchirer avant de créer : ces actes « chaotiques » deviennent reliefs, textures, cadres, fragments à explorer ou mettre en valeur
  • Tacher volontairement : commencer par l’accident peut décharger le stress du « ratage » et ouvrir à de nouvelles idées
  • Support plus grand : amplifier ses gestes amples permet d’impliquer davantage son corps. On conscientise sa respiration et les mouvements deviennent chorégraphie .
  • Supports inattendus : mixer un medium et un support que l’on n’attendrait pas nous met en éveil et stimule notre adaptabilité.

3. Les outils

L’enfant détourne tout : cette adaptabilité génère une expression spontanée fascinante à redécouvrir.
Variations d’outils à découvrir avec curiosité :

  • Tenue différente : expérimenter différentes prises en main de ses outils pour libérer le geste et révéler d’autres expressions
  • Adaptations d’outils : prolonger, transformer, combiner ses outils habituels pour étendre leurs possibilités et découvrir de nouveaux gestes créatifs
  • Détournements créatifs : transformer des objets du quotidien en outils créatifs et révéler leur potentiel artistique
  • Changement d’outils en cours : varier les outils pendant la création pour multiplier les textures, effets et approches au sein d’une même œuvre

4. Le temps

L’enfant vit dans l’instant présent. Cette dimension temporelle nourrit une créativité libre et authentique.
Variations temporelles à savourer :

  • Contraintes de temps : créer en X minutes pour court-circuiter le perfectionnisme, créer en flux continu
  • Changement de rythme : rompre avec son rythme créatif habituel, expérimenter la cadence opposée à sa pratique
Créer librement: Pierre Alechinsky

IV. Exercice pour libérer son geste créateur

1.Expérimente une approche par axe avec ton médium de prédilection

  • Libération du corps
  • Dialogue avec le support
  • Détournement d’un outil
  • Création dans une contrainte de temps

2.Évalue les changements observés

Après ton expérimentation des 4 axes, pose-toi ces questions. Elles renforcent ta confiance créative :

Le corps :

  • Comment la position debout et la main non-dominante ont-elles changé mon geste ?
  • À quel moment ai-je senti mon corps entier s’engager dans la création ?

Le support :

  • Comment ai-je vécu le fait d’abîmer volontairement mon support ?
  • Qu’est-ce que les plis et imperfections ont révélé dans ma création ?

Les outils :

  • Quel détournement d’outil m’a le plus surpris ?
  • Comment chaque changement d’outil a-t-il influencé mon expression ?

Le temps :

  • Comment la contrainte de temps a-t-elle libéré ma spontanéité ?
  • À quel moment ai-je le plus lâché prise ?

Sur l’ensemble :

  • Lequel de ces 4 axes me libère le plus ?
  • Comment puis-je intégrer ces variations dans ma pratique créative ?
Créer librement avec Jean Dubuffet

Créer librement, un retour à l’essentiel

Retrouver son âme d’enfant pour créer librement n’est pas une régression. C’est un retour à l’essentiel créatif.
Ces 4 axes nous offrent des chemins concrets vers cette liberté.
Corps, support, outils, contrainte temporelle, les arts populaires japonais m’éclairent tout à tour sur un des axes à explorer :

  • L’etegami par son rythme et sa posture libératrice du corps
  • Le momigami par la transformation du support (froissage, usure)
  • L’orizomegami par son lâcher-prise avec les outils (diffusion des encres, de l’eau)

Ces techniques ouvrent la voie, mais c’est ton expérimentation personnelle qui révélera tes propres chemins de liberté.
Alors quelles sensations vas-tu découvrir en expérimentant ces approches ?

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Résumé

Nous perdons progressivement notre capacité à créer librement en devenant adulte.Cependant, cette spontanéité peut se reconquérir grâce à 4 axes concrets – corps, support, outils et temps – inspirés de l’observation enfantine, des arts primitifs et japonais.

F.A.Q.

  • Quelle différence entre « se sentir libre de créer » et « créer librement » ?
    Se sentir libre de créer nécessite encore un effort mental pour dépasser ses résistances. On crée librement quand l’expression jaillit naturellement, sans effort conscient. Dans cet état de flow, les inhibitions se désactivent spontanément.
  • À partir de quel âge perdons-nous cette spontanéité créative ?
    Les zones cérébrales du jugement critique maturent vers 6-7 ans. C’est à partir de cet âge que nous développons progressivement la voix intérieure critique qui filtre et autocensure notre expression créative.
  • Les 4 axes fonctionnent-ils pour tous les médiums créatifs ?
    Oui, ces axes (corps, support, outils, temps) s’appliquent à toutes les pratiques : dessin, peinture, photographie, écriture, sculpture, arts numériques… L’idée est d’adapter les variations selon ton médium de prédilection.
  • Faut-il connaître les arts japonais pour appliquer ces conseils ?
    Non, les arts japonais servent d’exemples inspirants mais ne sont pas indispensables. Tu peux expérimenter les 4 axes avec tes propres outils et supports habituels.

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