Ateliers haïku: l’accès à des pratiques d’écriture joyeuses et authentiques

J’ai, pendant une semaine, exploré avec d’autres auteurs, une forme de poésie qui me passionne depuis plus de vingt ans : le haïku, poème bref japonais de plus en plus populaire en Occident. L’intérêt d’une telle retraite? Outre la joie de vivre en communauté avec une famille de poètes créatifs et chaleureux, le fait d’intensifier ma pratique littéraire et stimuler ma créativité.
Ensuite, le besoin d’affiner les sujets que je souhaite partager sur ce blog…


Mettre en mouvement un élan créatif avec le haïku

C’est ma deuxième année de participation aux Rencontres du Haïku, un événement organisé par les membres du groupe ‘Un Haïku Par Jour‘ sur Facebook. Pendant cinq jours, une vingtaine d’auteurs, qu’ils soient confirmés ou débutants, se réunissent pour vivre la poésie et partager des moments conviviaux de création et de co-création.

Ce qui est magique lorsque l’on se met en action pour créer, c’est que le processus créatif commence bien en amont de la création proprement dite. Il s’éveille dès l’intention de participer à l’événement et se renouvelle pendant le trajet qui nous mène au lieu de rendez-vous. Pour ma part, alors que mon écriture était « encombrée » depuis un certain temps, elle s’est miraculeusement remise en circulation lors de mon voyage vers l’Auvergne…

aire de repos –
deux étourneaux sur un reste
de casse-croûte

Aquarelle étourneaux nourriture



Mais avant de poursuivre, qu’est-ce que le haïku ?

Le haïku est un poème court venu du Japon et ancré dans les saisons. Il est composé de 17 syllabes et suit une structure rythmique de 5-7-5 vers. Les thèmes les plus fréquemment abordés dans le haïku sont la nature et les événements anodins de la vie quotidienne. Un haïku utilise des mots simples qui sollicitent nos cinq sens. Son rythme est marqué par une césure, une pause qui invite à la réflexion et à la contemplation. Il est un instantané de la vie sans jugement, où l’humour trouve également sa place.

village d’Auvergne –
pour accueil, deux pies
trois culs de vache

Aquarelle pré chemin village




Varier les activités avec le haïku


Durant cette semaine dédiée au haïku et à ses dérivés, plusieurs ateliers ont été proposés, offrant une variété d’activités stimulantes :

  • L’« Atelier renga », le renga est une poésie collective dont les versets s’enchaînent selon la structure 5-7-5 / 7-7 / 5-7-5 / 7-7 vers et ainsi de suite…
  • L’« Atelier haïbun », le haïbun est une composition littéraire combinant prose et haïku.
  • L’« Atelier tensaku » , le tensaku est une séance de réécriture et de polissage de haïku, en vue d’une amélioration. Il s’agit d’un travail collectif qui respecte l’écriture originelle de chaque auteur.

D’autres activités ont rythmé nos journées, notamment les ginko.
Mais qu’est-ce qu’un ginko ?
Il s’agit d’une promenade en groupe au cours de laquelle les haïjins saisissent des haïkus sur le vif, sur le motif. Les écrits sont ensuite partagés. Il nous a été proposé ici deux ginko : un en plein jour dans la campagne de Saint-Jean-des-Ollières, et un de nuit, nous permettant d’explorer d’autres sens que la vue.



Aller au bout d’un processus d’écriture : le Tensaku


Cette année, j’ai choisi de participer à l’atelier « Tensaku ». N’ayant jamais assisté à une séance de polissage de haïku, j’étais curieuse de découvrir cette pratique et d’identifier les méthodes intéressantes à appliquer dans mes propres ateliers. Nous étions cinq participants réunis, dont deux animateurs expérimentés facilitant les échanges. Chacun de nous a soumis un haïku à améliorer. Avant toute modification, les animateurs ont demandé à chaque auteur de préciser le contexte d’écriture de son haïku.

Pour ma part, voici le haïku que j’avais à polir :

1,2,3…10 sacs poubelle
sur le trottoir
alignés et numérotés




Un contexte à la fois banal et extraordinaire pour écrire des haïku


Tout haïjin (auteur de haïku) sait voir l’étrangeté dans le banal.
J’ai été témoin d’une scène surréaliste dans un quartier urbain sans particularité aucune… Pourtant ce jour-là, de gros sacs de détritus noirs, identiques et attachés par une lanière rouge, étaient soigneusement disposés le long d’un trottoir… Alors que je m’approchais de cette « haie » plastique, j’ai découvert que les sacs étaient non seulement numérotés, mais également déposés soigneusement dans l’ordre !
Étais-je en présence d’une œuvre d’art contemporain placée in situ ? Était-ce le prélude à une performance ou à une représentation théâtrale ? Ces sacs étaient-ils les déchets minutieusement comptés d’une grande usine ? Ou bien était-ce l’œuvre d’un maniaque quelconque ? Comment savoir…
Cette scène, à la fois amusante et obsédante, m’a troublée pendant plusieurs années. J’ai tenté à maintes reprises d’exprimer mon trouble à travers des haïkus, mais sans être pleinement satisfaite des résultats obtenus…




Le haïku : une écriture concise et authentique


Dans le cadre du tensaku, le groupe doit comprendre les points d’insatisfaction du haïjin concernant sa première version. Dans mon cas, la ligne 2 posait problème : la mention de l’emplacement « sur le trottoir » me semblait trop évidente, voire redondante par rapport au terme « alignés » qui laissait déjà entendre une disposition régulière et horizontale des sacs.
Cependant, je n’arrivais pas à retranscrire l’amusement et l’interrogation que cette scène avait suscités en moi…

Lors d’un tensaku, chacun propose des éléments pour orienter la réécriture d’un haïku. Chacun tient compte des témoignages et des ressentis de l’auteur. Diverses astuces sont utilisées pour modifier, nuancer et renouveler l’écriture d’un haïku. Je pense à quelques procédés simples comme comme l’utilisation de synonymes, la suppression de mots, le remplacement des déterminants, l’inversion des vers, l’utilisation d’onomatopées, l’exploration de la ponctuation, le déplacement de la césure, etc… Toutefois, il est essentiel de garder à l’esprit les éléments fondamentaux qui ont poussé le haïjin à écrire son tercet.

De nombreuses idées ont été explorées pour la réécriture de mon haïku. Il nous a fallu une heure et demie, à cinq auteurs, pour arriver à finaliser cette version :

1,2,3…10
ces sacs poubelle numérotés
art ou thérapie ?


Ce choix s’est justifié de la manière suivante : l’énumération en ligne 1 représente visuellement la progression des chiffres telle que je l’ai perçue sur les lieux. La ligne 2 maintient la surprise de la numérotation de sacs d’ordure, tandis que le démonstratif « ces » exprime mon obsession à comprendre cette scène. Enfin, l’interrogation finale en ligne 3 reflète mon incompréhension et l’absurdité de la scène.

Bien que la réécriture ait été un processus long, elle a été extrêmement amusante et enrichissante. Les propositions des uns, les interprétations des autres ont créé une ambiance joyeuse et créative.

À la fin de la semaine, nous avons présenté nos travaux devant public, dans un café du village. Étant assez introvertie, ce genre d’action ne me met pas très à l’aise… Pour faciliter nos appréhensions et rendre compte de toutes les étapes d’évolution des poèmes, il a été décidé d’organiser une lecture sous forme de joutes verbales. Comme un témoignage de l’obsession qui a entouré ce processus, !a réécriture de mon tercet a nécessité pas moins de 11 étapes!!



Écrire en promenade pour aiguiser ses sens

Explorer la nature lors d’un ginko a été une expérience enrichissante à plusieurs égards. D’une part, cela nous a permis de porter une attention accrue à nos sens, et d’autre part, cela nous a incités à observer de manière plus précise les moindres événements qui nous entourent.

Afin de diversifier nos recherches, « chef haïjin » a prévu quelques pauses et soumis des «contraintes» d’écriture tout au long du parcours.

Voici quelques exemples de contraintes :

  • Lister tout ce qui pourrait compléter un saïjiki (almanach poétique des saisons) sur le printemps parmi ce qui nous entoure. Pour être plus précise, j’ai utilisé une application permettant d’identifier les plantes à partir de photos. Bien que ces applications ne soient pas toujours fiables, elles permettent de synthétiser une description, de rester fidèle aux sensations de l’auteur et de constituer un almanach de saison le plus précis et complet possible. Ainsi, j’ai découvert ou redécouvert le nom de certaines fleurs (rumex, muscaris, cerfeuil doré, trèfle bâtard, vesce, carex, géranium mou…) et observé les fleurs de marronnier, d’aubépine, de cytise, ainsi que les nuances de vert des champs d’orge et de blé. En ce qui concerne les animaux caractéristiques de la saison, nous avons pu observer dans les prés la présence des veaux ainsi que le tournoiement des mésanges et des hirondelles. Des papillons azurés délicats nommés argus, des papillons panthère reconnaissables à leurs tâches fauves, le loriot, le bruant jaune et bien d’autres encore.
  • Utiliser un kigo (mot de saison) et un élément urbain du village où nous nous trouvions.
  • Décrire un point de vue et nommer le lieu (à partir d’un belvédère).
  • Choisir de parler d’un oiseau, d’une fleur ou d’un insecte particulier.
  • Écrire un senryu (haïku sur le comportement ou les faiblesses humaines) sur cette balade.

Étant généralement lente dans la formulation de mes idées, j’ai fait le choix de commencer par lister de simples observations.

Lors du ginko de nuit, j’ai été surprise de parcourir l’itinéraire avec davantage d’introspection et de perception fine, laissant libre cours à plus de fantaisie. Voici l’un de mes senryu composé lors d’une pause prolongée :


cimetière de village
ce silence
je n’ose le toucher


Estampe japonaise papillon




Surfer sur la vague créatrice suite à une immersion haïku

Tout d’abord, m’isoler des réseaux sociaux pendant une semaine m’a permis de me concentrer pleinement sur ma créativité. J’ai pu me libérer des distractions constantes, ce qui m’a offert une clarté d’esprit que je n’avais pas ressentie depuis longtemps. En participant aux Rencontres du Haïku et en m’immergeant dans cet univers poétique, j’ai été enveloppée d’une atmosphère chaleureuse et bienveillante. Les moments partagés avec les autres participants ont été empreints de cordialité, d’attentions et de joie.

Le haïku était présent à chaque instant, que ce soit lors des ateliers, des repas, des promenades ou des échanges. Chaque instant était prétexte à croquer poétiquement le portrait d’un participant, rire de nos attitudes ou de nos manies, exprimer nos remerciements et notre gratitude.

Le haïku ouvre nos cœurs au présent, nous incite à explorer la nature, nos émotions et à partager nos points de vue avec les autres. En ce qui me concerne, j’ai réalisé que j’avais également besoin de plus de temps et de solitude pour écrire posément. La présence du groupe est merveilleuse, mais il est tout aussi important de trouver des moments pour se connecter à soi-même et se laisser guider par ses propres réflexions et sensations.

Dans l’ensemble, cette semaine aux Rencontres de la poésie japonaise a été une expérience inspirante et énergisante. J’ai été touchée par la générosité et l’intensité des échanges et j’ai ressenti un profond sentiment d’appartenance à une communauté artistique.
Pour surfer sur la vague créatrice, je recommande de s’engager pleinement dans des expériences artistiques qui nourrissent notre âme. Que ce soit en rejoignant des groupes ou des ateliers, en se plongeant dans la nature ou en prenant du temps pour la solitude, il est important de créer un espace propice à l’expression de notre créativité.

En fin de compte, j’ai appris à donner la priorité à mes projets artistiques et à trouver un équilibre entre la collaboration avec les autres et la connexion avec moi-même. Depuis notre retour, nous avons créé avec quelques participants, un groupe Facebook privé : il consiste à stimuler notre écriture pour la réalisation d’ un recueil de haïkus à soumettre à une maison d’édition.

Pour ma part, j’ai l’intention de poursuivre l’expérience d’immersions thématiques qui alimenteront mon activité autour de l’écriture et des arts liés à la nature, au corps, au quotidien et au Japon.

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2 réflexions sur “Ateliers haïku: l’accès à des pratiques d’écriture joyeuses et authentiques”

  1. J’ai beaucoup aimé ton article ! J’aime écrire, créer des poèmes, des pensées, même des haïkus. J’ai certainement été étonnée de trouver ce genre d’activité qui rassemble des créatifs, qu’ils soient animateurs expérimentés ou non. Ce que j’ai appris de ma petite expérience de blogueuse, c’est que la créativité aide et ça m’aide beaucoup personnellement !

    1. Merci pour ce témoignage ! Le réel et le quotidien sont pour moi une source intarissable de créativité! A nous de savoir porter notre attention sur les petits « miracles » de la vie!

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